Patrick Martin sur France Inter : "Il faut reposer fondamentalement le sujet du financement de la protection sociale"
Invité de France Inter le 16 janvier, Patrick Martin a partagé ses impressions sur le discours de politique générale du Premier ministre, sur la négociation qui s'ouvre au sujet des retraites, sur la fiscalité et sur le décrochage actuel de la France par rapport aux Etats-Unis.
Sur le discours de politique générale de François Bayrou
"Ce discours nous a plutôt rassuré, en ce sens qu'il parle beaucoup d'économie, il parle par exemple de puissance économique en soulignant que c'est le fondamental, c'est le préalable à l'influence de la France en toutes choses. (...) J'ai entendu un discours pro-business, mais il est assorti d'un certain nombre de considérations qui nous interrogent."
Sur l'implication du Medef dans le débat public
"Il y a un constat que le Medef établit depuis plusieurs mois, si ce n'est plusieurs années, c'est que dans le débat public et donc, dans la décision politique, l'économie n'est pas suffisamment prise en compte, ou quand elle l'est, c'est d'une manière erronée ou tronquée. Je vous donne un exemple, on parle des retraites, on va parler des retraites, enfin, il faut marteler le fait que ce sont les actifs, les entreprises et les salariés qui payent les retraites, ce n'est pas un monde à part." Cependant, Patrick Martin ne pense pas que les patrons français doivent s'engager en politique comme le fait Elon Musk aux Etats-Unis, car pour lui, "chacun doit rester à sa place, et je ne mettrai pas ma main à couper que Donald Trump et Elon Musk resteront amis aussi longtemps que ça."
Sur la réforme des retraites et le conclave
"Je ne suis pas un expert en droit canon, mais je ne crois pas me tromper en disant qu'un conclave, c'est à huis clos. Or, je crois comprendre qu'il y aurait des interférences politiques, je crois comprendre, par ailleurs, que participeraient à cette négociation des organisations ou en tout cas des personnes qui habituellement n'en font pas partie. Moi, je fais confiance aux partenaires sociaux, j'en fais partie. (...) Mais, on veut nous faire parler de tous les régimes de retraite, moi, je n'ai pas de légitimité sur les retraites du public et inversement nous n'avons pas à voir dans nos négociations intéressant le secteur privé des organisations qui ne sont pas représentatives, c'est bien le moins. (...) Nous sommes dans une situation à la fois politique, mais surtout économique suffisamment instable pour qu'on saisisse l'occasion de ces négociations pour reposer fondamentalement le sujet du financement de la protection sociale. Nos régimes sociaux sont à bout de souffle, tout le monde le sait, beaucoup n'osent pas le dire. (...) Il faut remettre les choses en perspective. Tout le monde déplore le creusement de la dette française, mille milliards d'euros sur les cinq dernières années, beaucoup ne disent pas que la moitié de ce déficit résulte du déficit des retraites. Les 64 ans, sur le plan technique, sur le plan du rendement, c'est un socle du rétablissement des régimes de retraite. Je suis prêt à tout entendre, mais encore faut-il, qu'on nous propose des solutions alternatives qui ne pèsent pas sur le coût du travail. La France est en train de décrocher en matière de compétitivité. (...) Je pense, je suis même assez affirmatif, avoir des interlocuteurs syndicaux qui sont parfaitement lucides quant à la situation de l'économie. (...) Les retraites coûtent en France trois points de PIB de plus que dans la moyenne des autres pays européens, donc 90 milliards d'euros de plus. Les entreprises françaises sont les plus taxées de l'OCDE. Si la dynamique économique se dégrade, à un moment donné, on ne peut plus payer nos régimes sociaux, dont les retraites."
Sur la fiscalité et les potentielles hausses d'impôts sur les entreprises
"J'avais accepté le principe d'un effort de la part des entreprises, mais sous réserve qu'il y ait un effort beaucoup plus important sur ce qui est le vrai sujet, baisser les dépenses publiques. On ne voit pas grand-chose de ce point de vue, en tout cas de structurel. (...) Ce qui nous importe, c'est qu'il y ait une trajectoire qui apporte de la confiance. (...) On va avoir ponctuellement sur des centaines d'entreprises, la mienne en fait partie, un impôt sur les sociétés qui va monter à 35,5 %. Vous n'ignorez pas que les États-Unis vont baisser leur taux d'IS à 15 %. Le Portugal vient d'annoncer qu'il allait baisser son taux d'impôt sur les sociétés à 15 %, voire à 12,5 %."
Sur le décrochage français
"La France est en train de décrocher, et de décrocher en Europe, mais aussi par rapport aux États-Unis. C'est une réalité. au sein de l'Union européenne, il y a des pays qui se portent bien : la Pologne, l'Espagne, le Portugal, l'Italie, d'une certaine manière. Il faut quand même que, tous ensemble, on en prenne conscience."
Sur Donald Trump et les Etats-Unis
"Donald Trump va prolonger et accélérer ce que les États-Unis font depuis des années déjà, y compris sous Joe Biden, c'est-à-dire muscler considérablement leur économie, singulièrement les secteurs de la tech. On ne peut pas être indifférent à ça. Les débats franco-français sont assez nombrilistes. On est dans un monde ouvert, et c'est très bien ainsi. Il faut quand même qu'on en tienne compte dans nos décisions politiques, économiques et sociales. (...) Il y avait 220 milliards d'euros d'épargne française qui étaient investis dans la dette américaine, fin 2023. C'est 330 milliards, fin 2024. Ça a augmenté de près de 50 %. Les agents économiques, sont rationnels. Ils se disent : « Aux Etats-Unis, il y a de la croissance, il y a de la rentabilité, il y a une fiscalité plus favorable ». Il faut enrayer ça. Cela passe par des débats beaucoup plus intelligents que ceux auxquels on se livre actuellement."
Sur l'IA
"Nous avons organisé un tour de France de l'intelligence artificielle avec vingt étapes. On a commencé d'ailleurs sur l'île de la Réunion à laquelle on est très attaché, comme à tous nos territoires ultramarins. Et on aboutira au même moment où s'ouvrira le sommet de l'intelligence artificielle. On a des pépites en France. Des gens remarquablement formés et intelligents. Mais actuellement près la moitié de nos ingénieurs de très haut niveau partent aux États-Unis et ce n'est pas uniquement pour des questions de salaire, c'est parce qu'il y a un système qui est dynamique, qui est ouvert. On ne se bride pas matin, midi et soir par des réglementations très stérilisantes.(...) Nous sommes tous pris a la gorge par la dérive des finances publiques. Donc je le redis, il faut d'abord de la croissance, et par ailleurs, il faut réduire les dépenses publiques."